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La prostitution sans droit de cité?


Difficile cohabitation entre les «filles» et les riverains du centre de Bruxelles.
Le comité de quartier veut écarter les prostituées de rue des zones habitées.

REPORTAGE

Studio Europe», «Studio 6», «L'Ultime», «Le Neutre»... Les hôtels se succèdent dans la rue des Commerçants et environs, au centre de Bruxelles, à deux pas du rutilant Théâtre national. L'information à la porte du «5thAvenue» balaie toute équivoque: «De nuit, de jour, pour assouvir une sieste (à deux, c'est sympa!) ». L'établissement se vante d'être «le moins cher de Bruxelles (c'est vrai, profitons...». Tarifs en journée: 26 € pour 2 heures dans une chambre avec SDB; 22 € pour une chambre simple avec lavabo. Une blonde décolorée, en jeans et mouton retourné, lance quelques mots (en albanais, en roumain?) à une copine qui bat le pavé sur le trottoir d'en face. Il est midi. La rue tourne encore au ralenti.

«On n'en peut plus!»

Mais le soir, elle s'anime. Ballet de voitures, claquements de portières, éclats de voix entre dames qui se disputent le client... «On n'en peut plus!», s'énerve Niky V., 37 ans. «J'habite là. Je suis aux premières loges. On vit en permanence en contact avec la prostitution. Même quand j'ai mes deux petits enfants à la main, des hommes s'arrêtent pour demander mon prix. Les femmes racolent devant la porte de mon immeuble, de leur plein gré ou forcées.»

La nuit, les décibels grimpent; au petit matin, les trottoirs ont vilaine mine: seringues, bouteilles cassées, papiers gras, frites écrasées -reliefs d'une nuit glauque. «Ça ne s'arrête jamais. Je côtoie ces femmes tous les jours. Elles sont très gentilles mais quand elles sont mortes bourrées pour supporter leur situation, le tapage nocturne, elles s'en foutent.»

Pour les habitants du quartier, regroupés au sein du comité Alhambra, cette cohabitation est devenue impossible. «Protester, c'est risquer des représailles: on retrouve des préservatifs usagés dans nos boîtes aux lettres. Oui, j'ai peur: les proxénètes et les gens derrière sont puissants. Des voisins ont été tabassés dans leur hall par des souteneurs», affirme Niky, bénévole du comité. Lundi soir, une cinquantaine de riverains se sont réunis «pour frapper à nouveau sur la table». A leur estime, la Ville de Bruxelles ne montre pas assez de volonté pour lutter contre ce fléau.

Au cabinet du bourgmestre PS, Freddy Thielemans, on proteste. «On s'occupe de ce quartier depuis deux ans. L'objectif est d'éradiquer le problème dans les endroits habités, mais il est illusoire de vouloir tout résoudre en quelques mois. Les gens ont raison de se plaindre, mais on essaie de trouver des solutions humaines par rapport aux filles prostituées, qui sont les premières victimes de la traite.»

Plutôt sur le boulevard

La dernière opération policière menée dans le quartier -le 8 novembre- a permis de d'interpeller 21 personnes en séjour irrégulier -dont 8 Bulgares et 2 mineures de 15 et 16 ans. «Depuis deux ans, on constate une forte présence de la prostitution de rue. On fait environ 10 opérations par an pour vérifier les titres de séjour», indique le commissaire Luc Ysebaert, officier de la DG opérationnelle de la zone Bruxelles Capitale-Ixelles. En 2003, 680 personnes ont été contrôlées; 250 ont été rapatriées par l'Office des étrangers et beaucoup d'autres ont reçu un ordre de quitter le territoire. Au niveau judiciaire, 52 proxénètes ont été mis à la disposition du parquet. La pression ne se relâche pas: depuis janvier, 738 personnes ont déjà été contrôlées.

Si le chiffre global de prostitution de rue a diminué dans la zone de police, il y a un point de focalisation dans le quartier de la rue des Commerçants, essentiellement lié à la présence d'hôtels qui servent d'hôtels de passe, continue le commissaire.

Les filles ont donc été «invitées» par la police à travailler plutôt sur le boulevard Albert II, où s'alignent bureaux, banques et institutions, mais pas d'habitations ni d'hôtels. Présidente de l'Asbl «Le Nid», spécialisée dans la prise en charge des victimes de la prostitution et de la traite des êtres humains, Sophie Jekeler s'inquiète: «Les prostituées sont obligées de monter dans la voiture du client, avec tous les risques que cela suppose pour leur sécurité.» La juriste s'interroge aussi sur l'évolution de la problématique: «On s'oriente vers des politiques à la hollandaise, avec des endroits où la prostitution est tolérée et d'autres pas. S'il faut évidemment une politique proactive pour démanteler les réseaux de traite; s'il y a les intérêts des habitants à ménager, la prostitution doit garder droit de cité dans nos villes.»

© La Libre Belgique 2004/Annick Hovine